En septembre 1911, des canadiens-français, Clémentine Beauchamp et Édouard Drapeau, entreprenaient leur voyage de noces en Europe. Cette expédition dura 61 jours! Un tel événement sortait assurément de l’ordinaire. Suivons-les dans leur périple.
« Souvenir de notre ascension à la Tour Eiffel -16 septembre 1911 » (1911).
Collection : Thérèse Drapeau. Cote : P0003.
Montréal : Archives de la Société d’histoire du Plateau-Mont-Royal.
Le jeune couple, sur la photo ci-haut tirée de la collection Thérèse Drapeau, s’est marié le 4 septembre 1911. Édouard avait alors 24 ans et Clémentine, 22.
Après la noce, les tourtereaux se rendirent en train jusqu’à New-York pour voyager à bord du paquebot transatlantique « La Provence », un bateau à vapeur français qui faisait la liaison New-York – Le Havre.
« Carte postale Paquebot La Provence en 1906 » (1906).
Wikipédia : La Provence (paquebot de 1906) – Anonyme – domaine public.
À propos du bateau La Provence
À sa mise en service, La Provence, construit en 1906, était le plus grand et le plus rapide paquebot français mais, ses dimensions ayant été dictées par les capacités d’accueil maximales du port du Havre, son tonnage était alors très inférieur aux grands paquebots transatlantiques des concurrents étrangers. Il a été coulé en Méditerranée alors qu’il servait de transport de troupes pendant la guerre 14-18.
« Coupe paquebot Provence » (1906).
Wikipédia : La Provence (paquebot de 1906).
– De l’arrivée en Europe jusqu’en Italie : 14 septembre au 3 octobre
Paris, Poitiers, Bordeaux, Pau, Lourdes, Toulouse, Carcassonne, Marseille, Nice et Monte Carlo (Monaco)
– L’Italie : du 4 au 24 octobre 1911
Gênes, Rome, Naples, Pompéi, Florence, Venise et Milan
– La Suisse, Paris, Londres et retour au Québec : du 24 octobre au 10 novembre 1911
Lucerne, Bâle, Paris, Londres, Liverpool et Québec
C’est monsieur Junot, le fondateur de l’agence Les voyages pratiques qui a préparé l’itinéraire, fourni le carnet de coupons pour tous les transports et les hôtels et coordonné tous les déplacements, transferts, etc. L’agence fondée en 1893 avait des bureaux à Paris. Le couple a voyagé seul.
« Carcassonne : la cité ».
[photographie de presse] / Agence Meurisse
Des promenades poétiques
Des extraits du voyage nous révèlent certains moments magiques vécus par le couple :
Ainsi à Carcassonne, Édouard note le 26 septembre : … Puis promenade agréable, poétique dans les lices, i.e. entre les vieux murs d’enceinte de la cité. Ciel plus voilé que nous n’ayons jamais vu.
Murailles géantes, silence complet. C’est un vrai rêve, une féérie.
Et à Venise, le 19 octobre : Promenade poétique d’une demie-heure [sic] à travers les canaux de la cité magique. C’est un vrai pays de rêve : rien d’étonnant que tous les jeunes mariés allemands y viennent faire leur voyage de noces.
« La construction de la tour Eiffel » (2 avril 1889).
Wikipédia : Histoire de la tour Eiffel.
Quant à la chose… rien dans le texte n’y fait allusion si ce n’est leur première nuit à l’hôtel Windsor à Paris, le 14 septembre, après la longue traversée en bateau. On peut lire : Hôtel Windsor – 1ière classe. Bonne chambre – (…) encore meilleure.
L’esprit religieux
Clémentine et Édouard étaient de bons catholiques pratiquants. À ce chapitre, ils ne dérogeaient pas de leurs obligations même en voyage comme en témoigne l’extrait suivant, du dimanche 24 septembre à Lourdes : Le brouillard tombe, on dirait qu’il pleut.
Messe à la basilique, confession et communion. Déjeuner.
Achat de souvenirs.
« Lourdes, église du Rosaire ».
[photographie de presse] / Agence Rol
Gallica.bnf.fr
Bibliothèque nationale de France
Les « Sightseeing Tours » de l’époque
Les tours guidés en calèche ne datent pas d’hier. En voici un très spécial, partant de Nice :
« Voiture [Victoria] : Bois de Boulogne » (1910). [photographie] / Atget.
Gallica.bnf.fr
Bibliothèque nationale de France
Une voiture à deux chevaux nous attend pour nous conduire à Monte-Carlo par la corniche. Nous prenons un bon déjeuner car nous aurons trois heures de voiture à faire. Le temps se couvre. Le concierge nous donne une bonne couverture de voyage. Parapluie, paletot, voile, tout y est. En route. Nous traversons la ville. Nous commençons à monter. Dans les vallées à nos pieds, sur les montagnes environnantes, l’orage s’étend. Les éclairs brillent au loin. Le bruit du tonnerre vient résonner sur les rochers que nous escaladons. Enfin, à un détour de la montagne, nous nous trouvons pris nous-mêmes dans les nuages chargés de pluie et même de grêle. Il fait très froid car à la hauteur où nous sommes la grêle est plus grosse qu’un pois. Jusqu’à midi nous voyageons sur les montagnes à 7 ou 800 pieds dans les airs.
Même par un temps comme celui que nous avons, le paysage est grandiose. Vu par un beau soleil, le spectacle est unique dit-on et nous le croyons sans peine.
Le couple se rendit à destination et put admirer les jardins du Casino de Monte-Carlo situé dans la principauté de Monaco.
« Monaco [jardins à Monte-Carlo] »
[photographie de presse] / Agence Rol
Gallica.bnf.fr
Bibliothèque nationale de France
Les moyens de transports utilisés en Europe :
Pour leurs déplacements, Clémentine et Édouard ont utilisé divers modes de transports, notamment la voiture. Comme vu précédemment, les voitures étaient tirées par des chevaux.
« Omnibus à chevaux » (vers 1890).
fr.wikipedia.org/wiki/Compagnie_générale des omnibus
À Paris, ils ont pris le tramway et l’omnibus, un véhicule, initialement hippomobile puis automobile, qui servait au transport en commun des voyageurs, et qui accomplissait un trajet à arrêts déterminés entre divers quartiers d’une ville, ou qui desservait une gare maritime, une station de chemin de fer, un hôtel, etc. Les derniers omnibus et tramways à traction animale cessèrent de circuler à Paris en 1913. Pour les taximètres (taxi), c’est la même chose : il y avait aussi des taxis hippomobiles.
La traversée de l’Atlantique se fit à bord de l’Empress of Ireland, un bateau à vapeur plus gros que La Provence. Cependant le voyage ne fut pas de tout repos. Comme en témoignent les extraits suivants :
Exporail
Fonds : Canadian Pacific Railway Company
Vendredi 3 novembre
Tout habillé, je me jette sur le canapé de ma cabine. Clémentine, plus heureuse, a fait sa toilette pour la nuit. Qui eut dit que nous serions trois et quatre jours sans nous lever! Ah! Le mal de mer, quel mal amer!!!
Mercredi 8 novembre
Autant l’océan fut calme durant notre première traversée, autant il est agité pour notre retour. Nous traversons des tempêtes de neige. Le bulletin du télégraphe sans fil nous annonce le naufrage de vapeurs désemparés par la tempête que nous venons de traverser.
A propos de l’Empress of Ireland
L’Empress of Ireland était un paquebot transatlantique de la Canadian Pacific Steamship Company lancé le 26 janvier 1906 et qui assurait la liaison régulière entre Québec et Liverpool, en Angleterre. Le 29 mai 1914, il fait naufrage dans l’estuaire du fleuve Saint-Laurent, près de Rimouski. Avec 1 012 victimes parmi les 1 477 personnes embarquées, il constitue « le plus grand naufrage survenu au Canada » et se classe parmi les plus grands naufrages du début du XXe siècle, avec ceux du Titanic et du Lusitania. Source : – Empress of Ireland. Wikipedia.
Arrivée à Québec le vendredi 10 novembre 1911
Clémentine et Édouard descendirent du bateau à 6 h 35 du soir au quai de Québec et retournèrent en train à Montréal. À la gare Windsor, le père de Clémentine attendait le couple.
Édouard conclut ainsi son journal : Le bonheur du retour, la joie de retrouver toute la famille est encore ce qu’il y a de plus doux dans un long voyage!
Texte complet du journal
La transcription de ce journal de voyage, rédigé par Edouard Drapeau et par son épouse Clémentine Beauchamp a été rendue possible grâce à la générosité de leur fille, Marguerite Drapeau-Le Scouarnec.